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3 février 2010 3 03 /02 /février /2010 21:53

    Les moines s’en retournent prier dans l’église juste après, et j’en profite avec Carlos pour m’étirer puis me reposer.

    — Sacré entraînement quand même, me dit-il alors que nous entrons dans le dortoir. J’ai les mains et les avant-bras martyrisés à cause du mannequin de bois.

    Oui, moi aussi, réponds-je. Je regrette de ne pas l’avoir pratiqué avant.

    À un moment, j’ai collé une sacrée patate dans la gueule à Gillou, reprend Carlos en riant. Mais il est costaud le pépère, faut y aller pour le bouger.

    La prière dure une heure, que nous passons à faire la sieste dans nos chambres, puis au retour des moines, nous participons à la préparation du repas du midi.

    Vient ensuite l’heure du second entraînement. Copie conforme du premier mais en version jour, sans compter l’accumulation de fatigue musculaire. À midi, les moines se rendent au puits situé dans un angle du cloître pour y faire leurs ablutions. Nous les imitons et frère Gilles nous dit :

    — Je suppose que vous désirez changer vos vêtements mouillés, donc vous trouverez une soutane comme les nôtres dans le placard de vos cellules.

    C’est gentil, mais nous ne sommes pas moines, objecté-je.

    Aucune importance, répond-il. Frère Martin par exemple, qui est juste à vos côtés, est arrivé parmi nous il y a seulement 3 jours et n’était même pas pratiquant. L’habit ne fait pas le moine comme on dit, et enfiler une soutane ne fera pas de vous des religieux si vous ne le désirez pas.

    Alors c’est d’accord, conclue-je.

    La toilette dans la cour terminée, nous nous rendons donc dans nos chambres et j’enfile une des deux soutanes marrons de mon placard que je noue à la taille par le cordon qui va avec. Ҫa me rappelle mon kimono lorsque je pratiquais le karaté en club. Je vais alors à l’entrée de la chambre voisine pour voir Carlos.

    — Ah ! Ah ! T’as l’air malin frère Carlos ! lui lancé-je.

    La charité chrétienne m’interdit de te répondre…

    Il est l’heure d’aller au réfectoire pour le déjeuner. Au cours du repas, frère Gilles nous demande :

    — Que comptez-vous faire pour la suite mes amis ?

    À vrai dire, nous n’y avons pas encore réellement pensé, réponds-je.

    Désirez-vous rester ici ? reprend-il. Si c’est le cas, vous êtes les bienvenus, et ce même si vous ne partagez pas nos croyances, du moment que vous les respectez.

    Vous savez, on a plutôt la bougeotte, intervient Carlos. On aime changer régulièrement d’endroit pour en voir le plus possible avant la fin.

    Vous préférez donc nous quitter ? relance notre hôte.

    Bah sauf votre respect, je ne me vois vraiment pas du tout passer mes derniers jours dans un monastère, dit Carlos.

    Il a raison, confirmé-je. Cet endroit est très rassurant, mais il n’est pas fait pour nous.

    Alors laissez-moi au moins vous demander de demeurer ici jusqu’au prochain Jugement, nous dit frère Gilles. Nous prierons également pour votre salut avec mes frères.

    Le "Jugement" ? m’étonné-je.

    Oui, c’est comme cela que nous nommons les Combats. Le prochain n’aura lieu qu’après-demain, alors ça ne vous fera passer que deux nuits supplémentaires ici.

    C’est ok, répond Carlos avec sa grosse voix. Deux jours, je devrais supporter.

    Frère Gilles sourit devant tant de gratitude. Il semblerait que son égo soit sacrément bien dompté. Pas le genre de gars à se laisser embarquer dans le comportement d’affrontement rituel.

 

    Nous terminons donc la journée en participant aux activités des moines, excepté pour les prières. Le soir venu, avant d’éteindre la lumière dans ma cellule, je ressens l’envie de me replonger dans la Bible. Mais pas pour étudier la théorie de frère Gilles en rapport avec le Grand Tournoi comme la veille… Non, c’est plutôt un besoin de me raccrocher à quelque chose, le souhait d’adopter une croyance qui apporte des réponses et qui dédramatise la mort. Mais je me ressaisis vite, honteux de ce moment de faiblesse. Je laisse le bouquin là où il est et je n’y toucherai plus. J’ai toujours été athée et même agnostique. Pour l’agnosticisme, en regard des événements actuels, je vais peut-être être amené à revoir ma copie. Mais pour la religion, il est hors de question que j’y plonge, ou ce serait renier tout mon système d’appréhension du monde, c’est-à-dire faire passer le dogmatisme avant la raison, l’observation et l’expérience. Il serait évidemment plus confortable de se laisser guider par de belles histoires et de suivre un chemin tout tracé. Pas de craintes, pas de questions à se poser. Je suis persuadé que les moines de ce monastère sont bien plus sereins que moi quant à leur devenir. Mais il s’agit de la même sérénité que possède le soldat qui n’a pas à réfléchir et qui doit se contenter de suivre les ordres de ses supérieurs. C’est rassurant, mais ça ne vaut pas le coup d’être vécu à mon avis. Cela dit, j’étais plus sûr de ma position il y a deux mois. Là, c’est mon incompréhension et mon impuissance face à la situation qui m’ont fait vaciller l’espace d’un instant. Et c’est tout simplement ça l’intérêt d’une religion : la fuite des difficultés. Je suis persuadé que de très nombreux gens à travers le monde se sont convertis à diverses croyances ces dernières semaines. Et je pense même qu’il y a d’innombrables nouvelles sectes qui sont nées pour répondre au problème spécifique du moment. Il suffit d’être imaginatif et de trouver les gens prêts à vous croire. Une formalité.

    Je m’endors vite, faisant toujours partie des âmes égarées, dépourvues de béquilles pour avancer sur le chemin de l’existence.

 

    À 4h du matin, personne ne vient frapper à ma porte ni à celle de Carlos, car nous avons expliqué hier que nous préférions avoir un jour de repos avant le Combat. Les moines, eux, s’entraînent tous les jours excepté le Vendredi. Frère Gilles nous a d’ailleurs précisé que d’un point de vue physiologique, nous avions raison de faire cette pause, mais que pour eux, s’entraîner durement deux fois par jour n’avait pas qu’un unique but d’efficacité martiale. C’était aussi et surtout un acte de pénitence.

    Je dors donc jusqu’en milieu de matinée, puis je m’occupe avec Carlos de la préparation du repas du midi. Flâneries et ballades constituent le reste de la journée, auxquelles j’ajoute une séance d’entraînement par visualisation, dont j’avais éprouvé les bienfaits lors de ma maladie.

 

    Vendredi 10 Février.

    Jour du 8ème Tour, jour de la 8ème division par deux de la population humaine.

    Petit déjeuner et temps interminable, comme d’habitude. Il est 10h30 et nous jouons aux cartes dans la chambre de Carlos, lorsque frère Gilles apparaît dans l’encadrement de la porte et nous annonce :

    — La grande cérémonie va bientôt avoir lieu, donc si vous voulez bien vous joindre à nous…

    C’est quoi cette cérémonie ? demande Carlos.

    Il s’agit de notre façon de célébrer chaque Jugement et de nous y préparer spirituellement. Elle se déroule dans l’église et dure jusqu’au moment crucial. Cela débutera dans un quart d’heure.

    Nous y serons, réponds-je. Merci pour votre invitation.

    Carlos attend que notre hôte nous ait quittés pour me dire :

    — Je sens que ça va me saouler cette histoire-là. Attends, ça va peut-être être notre dernière heure de vie, et on va la passer dans une putain d’église, entourés de curetons qui vont chanter des conneries en latin.

    Alors on n’aura qu’à faire en sorte que ce ne soit pas notre dernière heure, dis-je en souriant.

    Et l’échauffement d’avant le Combat, tu y as pensé ? relance-t-il.

    On se débrouillera va, réponds-je. On ne sera pas non plus pieds et poings liés hein.

    Carlos semble se résigner avec de grands efforts, puis finit par lâcher :

    — Bah ça me fait bien chier quand même, et vivement qu’on dégage de là.

    Nous nous rendons donc quelques minutes plus tard dans l’église, en passant par la petite entrée arrière réservée aux habitants du monastère. Nous sommes en soutanes, comme depuis deux jours, et nous nous mêlons aux moines qui sont déjà là, alignés devant le chœur sur lequel se trouve frère Gilles. Il fait plus froid ici que dans le dortoir, qui est réchauffé par un ou deux poêles à bois. Nous sommes dans l’alignement de l’allée centrale, et juste en retrait se trouvent les premières chaises de velours rouge qui étaient probablement réservées aux personnes importantes désirant assister aux messes. En haut et en face de nous apparaît le grand orgue aux impressionnants tubes de cuivre, et décalé sur la droite s’élève la chair surplombant le petit escalier tournant en bois qui y mène.

    Le maître de cérémonie commence par une longue prière commune, durant laquelle il parle des péchés de l’homme et glorifie le Tout-Puissant. Chacune de ses paroles revient dans un écho solennel en rebondissant sur les parois de l’édifice. Puis chaque moine se saisit d’un cierge qu’il allume, et se met en file indienne avec les autres pour évoluer dans l’église en aller-retour, pas à pas et en tenant le cierge à deux mains, dans un profond recueillement et un silence total. Une forte odeur de cire chaude se répand dans l’atmosphère. Nous imitons chacun de leurs gestes avec Carlos, et je me sens ridicule. La file, menée par frère Gilles, s’arrête finalement, et ce dernier, faisant demi-tour, nous dit :

    — Mes frères, il est temps maintenant de prier pour le salut de vos âmes. Et n’oubliez pas que chaque Jugement est un don de Dieu, et une étape vers la délivrance suprême. C’est une chance pour nous de pouvoir mourir ici, dans la maison de Dieu, et c’est une chance de connaître le moment potentiel de notre mort. Maintenant mes frères, agenouillons-nous devant l’autel et prions.

    Chaque moine vient alors s’installer sur un prie-Dieu, et c’est le moment que nous choisissons avec Carlos pour nous mettre en retrait. Il est en effet plus de 11h30, et pour nous qui sommes très terre à terre, un échauffement du corps nous sera bien plus profitable qu’un recueillement de l’âme. Nous nous éloignons donc, traversons toute l’allée centrale, et nous positionnons dans l’espace juste derrière la porte d’entrée. Nous commençons donc à nous échauffer en nous efforçant d’être les plus silencieux possible afin de ne pas gêner la confrérie dans sa prière.

    Il est midi moins cinq, et nous nous asseyons sur le banc de bois du fond pour le moment de concentration finale. Les moines à l’autre bout de l’église n’ont pas bougé, toujours alignés à genoux, dans le silence le plus complet. Je tente de me replonger dans un état de prédateur reptilien, mais je ne parviens toujours pas à retrouver ce mode enfoui, expérimenté une unique fois dans ma vie à bord de la péniche.

    C’est la dernière minute, et Carlos me chuchote :

    — Bonne chance ma poule.

    — À toi aussi, réponds-je. T’as pas intérêt à crever.

    — J’en n’ai pas l’intention, alors occupe-toi plutôt de ton cas. Et on se…

 

    Me voilà dans l’arène.



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commentaires

S
<br /> Nan, Nico contre Carlos c'est quasi impossible, il reste encore beaucoup de monde sur Terre et la probabilité qu'ils se retrouvent ensemble dans l'arène est infime.<br /> <br /> Je crois aussi que ce combat sera dur pour les deux :/<br /> <br /> PS: I love Eddy<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Je crois que justement ce sera Nicolas VS Carlos, je sais pas pourquoi.<br /> <br /> Un combat de titans ! =p<br /> <br /> <br />
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G
<br /> coupé en plein dans sa phrase? je sens que carlos sera sérieusement amoché, je sais pas pourquoi :p<br /> <br /> <br />
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L
<br /> over-bien<br /> <br /> <br />
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J
<br /> Trop top!!! :-p<br /> <br /> <br />
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  • : Roman en ligne: Le Grand Tournoi
  • : Je publierai ici mon roman sous forme d'épisodes. Une histoire apocalyptique teintée d'arts martiaux et de philosophie.
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